PFAS en Haute-Savoie : 35 ans après les déversements de Tefal, la contamination persiste

Une contamination environnementale majeure perdure en Haute-Savoie, où l’usine Tefal de Rumilly a déversé pendant des années des déchets chargés en PFAS, ces « polluants éternels ». Des documents récemment révélés exposent l’ampleur de cette pollution dont le coût de décontamination pour l’Europe pourrait atteindre jusqu’à 100 milliards d’euros annuels sur vingt ans.

Que sont exactement les PFAS ?

Les PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées) sont une famille de plus de 4700 composés chimiques synthétiques créés dans les années 1940. Ces molécules sont caractérisées par des liaisons carbone-fluor extrêmement stables, les rendant quasiment indestructibles dans l’environnement. Leur capacité à résister à la chaleur, à l’eau et aux graisses en a fait des composés prisés par l’industrie, mais aussi des polluants particulièrement dangereux pour l’environnement et la santé.

Comment le scandale Tefal a-t-il commencé ?

L’histoire débute dans les années 1960, lorsque l’usine Tefal s’implante à Rumilly en Haute-Savoie. Pendant près de trois décennies, jusqu’en 1989, l’entreprise a régulièrement déversé des déchets industriels fortement concentrés en PFAS, issus de la fabrication de revêtements antiadhésifs. Ces substances se sont progressivement infiltrées dans les sols et les nappes phréatiques de la région.

Quelle est l’étendue géographique de la contamination ?

La pollution s’étend principalement autour de Rumilly, mais affecte également les communes environnantes dans le bassin versant du Chéran et du Fier. Les communes particulièrement touchées incluent :
– Rumilly (épicentre)
– Sales
– Marcellaz-Albanais
– Hauteville-sur-Fier
– Vallières-sur-Fier

La contamination suit principalement les cours d’eau et les nappes phréatiques, créant une zone d’impact qui s’étend sur plusieurs dizaines de kilomètres carrés. Les analyses récentes montrent des concentrations en PFAS dépassant largement les seuils autorisés, particulièrement dans les zones proches de l’ancien site de stockage des déchets.

Quels sont les impacts sur la santé et y a-t-il des cas confirmés ?

Plusieurs études épidémiologiques ont établi des liens directs entre l’exposition aux PFAS et diverses pathologies graves :
– Cancers : rein, testicules
– Maladies thyroïdiennes
– Hypertension gravidique
– Troubles de la fertilité
– Perturbations endocriniennes
– Impacts sur le développement fœtal

Dans la région de Rumilly, une étude de santé publique menée en 2022 a révélé des concentrations sanguines en PFAS jusqu’à 10 fois supérieures à la moyenne nationale chez certains résidents de longue date. Bien que l’établissement d’un lien direct entre les cas individuels de cancer et l’exposition aux PFAS reste complexe, les taux anormalement élevés dans le sang des habitants proches des zones contaminées sont préoccupants.

Pourquoi l’Union Européenne a-t-elle tardé à réagir ?

La réaction tardive de l’UE s’explique par plusieurs facteurs :
– Une compréhension progressive de la dangerosité des PFAS (études majeures dans les années 2000)
– L’influence du lobby de l’industrie chimique minimisant les risques
– La complexité technique de la détection et de la mesure des PFAS
– Le manque de données épidémiologiques à long terme

Ce n’est qu’en 2020 que l’UE a présenté sa stratégie pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques, incluant des restrictions significatives sur les PFAS.

Quelles sanctions ont été imposées à Tefal ?

Les sanctions contre Tefal sont restées limitées :
– Obligation de financer des études de pollution
– Mise en place de systèmes de surveillance environnementale
– Contribution au financement des mesures de surveillance et de traitement des eaux

Cependant, les sanctions financières directes ont été restreintes en raison de :
– La prescription de certains faits
– La difficulté à établir juridiquement le lien de causalité entre les rejets historiques et les dommages actuels
– L’absence de cadre réglementaire strict à l’époque des faits

Quelles autres entreprises sont impliquées dans la pollution aux PFAS ?

Au-delà de Tefal, plusieurs entreprises sont mises en cause dans la contamination aux PFAS en France et en Europe :
– DuPont et sa filiale Chemours aux États-Unis et aux Pays-Bas, avec des contaminations majeures dans la région de Dordrecht
– 3M en Belgique, particulièrement dans la région de Zwijndrecht près d’Anvers, où les sols et les eaux sont fortement contaminés
– Les entreprises Arkema et Saint-Gobain en France, impliquées dans la production ou l’utilisation de PFAS
– La société chimique Solvay en Italie, responsable de contaminations dans la région de Spinetta Marengo
– L’entreprise Miteni en Italie, dont la pollution a affecté la région de Veneto

Ces cas révèlent un problème industriel systémique, où les PFAS ont été largement utilisés sans considération suffisante pour leurs impacts environnementaux et sanitaires.

Vers quelles solutions techniques s’oriente-t-on ?

Face à cette contamination persistante, plusieurs approches sont étudiées :
– Techniques de filtration par charbon actif
– Procédés de décomposition chimique des PFAS
– Systèmes de traitement des eaux innovants
– Solutions de confinement des zones les plus contaminées

Le coût estimé pour décontaminer l’Europe des PFAS s’élève à 100 milliards d’euros par an pendant vingt ans, reflétant l’ampleur du défi technique et financier.

Où trouve-t-on les PFAS dans notre quotidien ?

La présence des PFAS dans notre environnement quotidien est massive et préoccupante. On les trouve dans de nombreux produits de consommation courante :

Dans la cuisine :
– Poêles et casseroles antiadhésives
– Papier cuisson et emballages alimentaires résistants aux graisses
– Boîtes de conservation
– Cartons de pizza et emballages fast-food

Dans les textiles :
– Vêtements imperméables
– Tissus anti-taches
– Tapis et moquettes traités
– Textiles d’ameublement

Dans les cosmétiques et produits d’hygiène :
– Crèmes hydratantes
– Rouges à lèvres waterproof
– Fonds de teint longue tenue
– Shampoings et après-shampoings

Dans les équipements techniques :
– Mousses anti-incendie
– Revêtements industriels
– Matériel médical (implants, dialyse)
– Composants électroniques résistants à la chaleur

Dans les produits de sport et loisirs :
– Équipements de ski
– Vêtements techniques
– Matériel de camping imperméable
– Équipements de protection

La grande distribution et les fabricants sont progressivement contraints d’identifier et d’étiqueter les produits contenant des PFAS, mais de nombreux articles en contiennent encore sans mention explicite.

Sources principales

– ANSES (2023). « Évaluation des risques liés aux PFAS dans l’eau potable »
– Préfecture de Haute-Savoie (2023). « Arrêté sur la surveillance des PFAS – Site de Rumilly »
– European Environment Agency (2023). « Forever Chemicals Impact Assessment »
– Commission européenne (2024). « Restriction des PFAS dans l’UE – Rapport d’impact »