L’adversaire microscopique qui a vaincu la Grande Armée de Napoléon en Russie

© L'adversaire microscopique qui a vaincu la Grande Armée de Napoléon en Russie

La campagne de Russie figure dans tous nos livres d'Histoire, et nous en avons tous des images dans la mémoire.

L'hiver, la neige, l'immensité des plaines russes : "après la plaine blanche, une autre plaine blanche" écrivit Victor Hugo ...
Et la défaite de l'Empereur, à cause du froid, et de la stratégie des généraux russes.
C'est du moins ce que l'on pensait jusqu'en 2001 ...

 

Hiver 2001. Vilnius, Lituanie.

Des travaux pour enfouir des lignes téléphoniques creusent la terre. Et soudain, les ouvriers découvrent des ossements humains, par milliers. 
Des archéologues arrivent, on exhume 2000 squelettes ainsi que des pièces de monnaie datant du début des années 1800, et des boucles de ceintures portant des numéros de régiment. Les scientifiques comprennent alors qu'il s'agit d'une partie de la Grande Armée de Napoléon : 600 000 hommes partis conquérir la Russie, et seulement 30 000 survivants.
Les analyses effectuées vont révéler la cause de la mort de dizaines de milliers de ces soldats.

En route vers la Russie, la Grande Armée traverse la Pologne. Les soldats se retrouvent alors dans une région d'une saleté inimaginable, où les paysans sont couverts de puces et de poux, où l'eau des puits est souillée.
Le ravitaillement est difficile en territoire hostile, les soldats doivent se débrouiller, et pillent les maisons et les champs. La dysenterie et d'autres maladies intestinales, typiques des champs de bataille, font leur apparition. Les hôpitaux de campagne ne parviennent plus à soigner tout le monde.

Ces soldats français sont pour la plupart jeunes et robustes, aptes à affronter le froid, les combats, la fatigue. Mais rien ne peut les protéger contre un ennemi inattendu :  les poux …

Le pou de corps, ennemi imprévu, innombrable et invincible 
Le pou de corps est porteur de 3 bactéries dangereuses pour l'Homme : Rickettsia prowazekii provoque le typhus exanthématique, Borrelia reccurentis entraîne la fièvre récurrente à poux, et Bartonella quintana est responsable de la fièvre des tranchées.
Ces bactéries pathogènes sont transmises aux humains par les déjections des puces et des poux de corps.
Les soldats de Napoléon sont sales, ils ne changent pas souvent de vêtements : les poux se nichent dans les coutures de leurs habits et se nourrissent en piquant leur corps. Leurs excréments imprègnent le linge et la peau des soldats : la moindre blessure, une égratignure même suffit pour que les bactéries pénètrent dans leur sang. Couverts de puces et de poux, les soldats se grattent, et chaque griffure est une porte ouverte aux bactéries.
Leurs conditions de vie en groupe, dormant en grand nombre dans des lieux étroits, favorisent la contamination. 

De nombreux soldats commencent à avoir une forte fièvre, et leur corps se couvre de plaques rouges. Puis leur visage devient bleu, et c'est la mort. Le typhus les a tués.
Fièvre, maux de tête, douleurs osseuses intenses dans les jambes, plaques rouges, malaises : la fièvre des tranchées, ou fièvre des 5 jours fait elle aussi des ravages dans les rangs de la Grande Armée.

Un bilan humain très lourd
Manque d'hygiène, promiscuité, rudesse des conditions de vie, absence de traitement (les antibiotiques ne seront identifiés qu'en 1928 par Fleming), les pertes humaines sont énormes : au bout du 1er mois de campagne, la Grande Armée avait déjà perdu 80 000 soldats, morts ou rendus invalides par la maladie. Des dizaines de milliers d'autres suivront jusqu'à la fin de cette terrible campagne de Russie.

Le rôle des poux de corps dans la transmission du typhus ne sera découvert qu'un siècle plus tard.